Mouvement artistique, culturel & citoyen

Les parcours culturels de La Marmite prévoient que chaque groupe :

– assiste, en général, à la représentation de deux spectacles « arts de la scène » (parfois aussi à une répétition ainsi qu’à la rencontre des équipes de création) ;
– prenne part à une projection filmique ;
– visite une exposition ;
– rencontre un.e travailleur.se intellectuel.le.

Par leurs différentes étapes autour d’une thématique centrale, nos parcours révèlent la complexité de tout questionnement ; par leur caractère pluridisciplinaire, ils nous renseignent sur les potentialités de chaque medium artistique.
La durée de ces parcours et le nombre des rencontres impliquées (huit à quinze) pour chacun des groupes constitue l’un des défis les plus sérieux de notre entreprise (nos premiers contacts nous ont rendus sensibles à la fatigue du maçon le soir venu, aux horaires crépusculaires de certains personnels d’entretien, etc.).

Signalons, ici, que la notion de « groupe » offre un clin d’œil à la théorie des ensembles sociaux développée par Jean-Paul Sartre, en 1960, dans la Critique de la raison dialectique. Dans cette somme, le philosophe fait du groupe (par opposition à la série et à l’organisation) l’entité susceptible d’articuler liberté individuelle et action collective. « Ce qui caractérise le groupe, précise Arnaud Tomès, c’est en effet le fait que chacun y est tiers médiateur : chacun joue le rôle de tiers entre les différents membres du groupe, cette relation étant évidemment une relation de réciprocité. Chacun conserve donc sa liberté tout en participant à une action commune » (in Petit lexique sartrien, 2005).
La désignation « Groupe » fait également écho aux Groupes Medvedkine de Besançon et Sochaux (1967-1974). Le critique de cinéma Bernard Benoliel (Catalogue du festival « Entre Vues » de Belfort, 2002) nous en rappelle l’origine : « Alexandre Medvedkine (1900-1989), cinéaste soviétique, est l’inventeur du ciné-train, unité mobile de production qui sillonna l’URSS en 1932 pour filmer ouvriers, paysans et mineurs du pays, et leur montrer sur le champ leur propre travail (montés le jour même dans le train, les films étaient projetés le lendemain) dans le but de l’améliorer et d’aider à la construction de la Russie nouvelle. Deux ans plus tard, à partir de son expérience de la vie des campagnes, Medvedkine tourne une comédie paysanne intitulée Le Bonheur. Trente-quatre ans après, des cinéastes ouvriers français ont l’idée de se nommer groupes Medvedkine en hommage à cette incroyable aventure du ciné train. » L’activité de ces groupes s’avéra une expérience sociale audiovisuelle unique menée par des réalisateurs et techniciens du cinéma militant en association, donc, avec des ouvriers de l’Est de la France.

Un « chœur » par région regroupe, par ailleurs, tou.tes les ancien.nes participant.es des parcours échus qui le souhaitent avec l’idée de donner un temps indéfini à l’appropriation culturelle et citoyenne et d’offrir à chacun.e un nombre plus important encore de sorties culturelles mais avec un accompagnement simplement plus modeste – histoire de faire un pas de plus en direction d’une autonomisation du rapport à la culture. Nous ne croyons pas en la possibilité d’emprunter des raccourcis lorsque l’on ambitionne de démocratiser vraiment la culture.
A noter que nos Chœurs pourraient constituer, à terme, autant de groupes d’« expert.es » de la participation culturelle intéressants à mobiliser pour la réflexion publique sur le sujet.
Le choix du terme « chœur » doit beaucoup à l’une des vigies de La Marmite – Sophie Klimis. Dans la tragédie athénienne classique, les chœurs étaient composés de simples citoyens – lesquels étaient alors exemptés de toutes charges politiques et militaires. Ainsi, chanter et danser dans un chœur était considéré, à Athènes, comme une praxis politique au sens fort du terme. Le contexte à la fois politique et rituel de ces performances tragiques nous renseigne, note la philosophe, sur « l’esprit fondamentalement démocratique du chœur et la fonction critique d’une parole unifiée qui ne serait pas uniformisante. Placée sous le patronage de Dionysos, dieu de l’ambivalence et de l’inspiration, la performance tragique faisait expérimenter à ses choreutes la coexistence des contraires : dissolvant de façon transitoire tous les clivages constitutifs des positions hiérarchiques au sein de la société athénienne, voici qu’en l’honneur du dieu, des citoyens masqués et déguisés faisaient les femmes, les esclaves, les barbares, les vieillards. Ils endossaient parfois toutes en même temps ces identités antinomiques, si éloignées de la leur (…). Cette initiation dionysiaque aurait consisté à confronter les choreutes à l’épreuve de l’étranger, leur faisant prendre conscience, en l’incarnant, voire plus précisément en l’incorporant, de la part d’altérité constitutive de leur identité citoyenne. Par sa danse et ses chants, le chœur tragique figure donc l’unité fragile et complexe, traversée de tensions et de dissonances, et pourtant en droit toujours harmonisable, qui caractérise le collectif démocratique » (L’engagement citoyen à l’épreuve de la scène, 2014).
Nos chœurs aspirent eux aussi à être les lieux d’une « auto-éducation à l’humanité citoyenne » (Klimis), sous le signe d’une « affection pensée » (par la participation à des créations partagées) et d’un « penser affecté » (par le travail de la réception tout au long des parcours).