17 mars 2021, 3 degrés et pluie givrante, Palabres, Lausanne, 18-20h
Présents et de passage : Tilo, Valentine, Sophie, Emilie, Christian, Gouled, Nathalie, Kamilou, Yaaqoub, Noel, Sonia.

A défaut d’une grande rencontre possible, quelques personnes s’inscrivent sur le groupe WA pour venir recevoir en mains propres le Fanzine compilé et imprimé par Tilo. Nous jouons aux chaises musicales car nous ne pouvons être que 5 simultanément dans la grande salle de Palabres. Sitôt que l’un arrive, un autre cède sa place au fil de la soirée.

Tilo transmet l’intention et les instructions :
« c’est une base, un support, un collage qui ne demande qu’à être commenté, annoté, complété, approprié, déchiré, recomposé (ou pas), passé à des amis et rendu, transformé. »

Une participante se demande si on ajoute
« – … plutôt des textes ou plutôt des images ?
– Tout, tu peux tout faire, écrire, coller, découper, faire des patchwork avec du tissu, il n’y a pas d’erreur avec ça, il faut que ça vive !»

Tilo dit « c’est comme si tu es dans un musée et tu peux prendre l’œuvre que tu veux, pour en faire ce que tu veux : c’est le début de quelque chose de personnel ».

Il se rend disponible et arrive avec les exemplaires soigneusement comptés, des crayons Caran d’Ache qui seront transmis avec les fanzines afin de les annoter : noir pour les pages blanches, blanc pour les pages noires, et un rouge ou un bleu. Nous faisons un petit montage avec un élastique sur carton rigide, pour faire comme une petite « trousse ». L’ensemble a de l’allure. « Comment ça va passer la douane ça, pour ceux qui ont quitté la Suisse et à qui on envoie? Il vont avoir des soupçons quand ils vont sentir cet objet ! ».

Tilo a cherché les bons outils, les couleurs qui ne bavent pas, simples à utiliser, résistants et bon marché. Il nous apprend à cette occasion que les meilleurs papiers à aquarelle sont les sous-verres de bière dans les cafés (au temps où on pouvait y aller) : papier épais, circulaire et rigide, qui « pompe » bien, comme un calepin portable.

Il nous donne aussi un aperçu de la fabrication suisse de crayons Caran d’Ache, nom d’un caricaturiste russe provocateur et raciste, voire antisémite, du début du XXème siècle. La fabrication industrielle de ces crayons, restée une entreprise familiale, n’a pas délocalisé son industrie (mais emploie des travailleurs frontaliers) et a opéré une petite révolution dans la fabrication du crayon : le « cul » du crayon est trempé dans une substance blanche qui durcit en protégeant l’arrière. C’est la marque de fabrique de Caran d’Ache, qui continue à produire une couleur par jour (nous sourions en imaginant « jour du bleu, jour du rouge, jour du jaune »).

Pour Tilo c’est la journée du bleu. Ou du vert ?

Les participants reçoivent avec une certaine solennité le cahier, mi-album photo, mi-ouvrage d’art, mi-fanzine à annoter.

« Il est très beau », « il est là comme notre support pour pouvoir nous exprimer », « c’est un formidable support qui va constituer un véritable trésor » écrit un participante sur le groupe a posteriori.

L’occasion de parler du COVID, de la santé de chacun. Deux participants ont perdu des proches cette année, des parents, ce qui est encore plus fort quand il y a une frontière, voire un océan qui sépare les familles. « Moi je suis vacciné, deux doses de Pfizer, je n’ai pas eu le choix. J’ai demandé à avoir aussi l’autre vaccin mais on m’a dit que non, on pouvait n’en donner qu’un. Comme j’ai des problèmes de santé, je me sens rassuré, mieux protégé, mais je ne vais pas faire n’importe quoi ».

Fernando n’a pas donné son adresse espagnole. Un participant décide de l’appeler, il est vite question de souvenirs de sardines, fête mémorable, apéritif de Palabres, barbecue improbable. Fernando de Barcelone (Reus) finit en mode haut-parleur, il n’a rien perdu de son français :
« – Ici ça va, je travaille toujours comme monteur sanitaire, il y a du soleil, la plage, la mer…
– Aaaahh ! Nous on a la neige !
– Oui je veux revenir en vacances ici ! »

Son interlocuteur nous confie : « On s’appelle presque tous les jours, ce collègue je l’ai rencontré à Palabres, et il m’a accueilli aussi en Espagne, je peux avoir une carte de séjour mais il n’y a pas de travail là-bas, il est resté et moi je suis ici… A chaque fois qu’on s’appelle il me fait cette blague, je ne peux pas raccrocher sans entendre ce mot, je me fais toujours avoir !! »

L’occasion aussi de retracer les moments du parcours, entamé avec Koburo à l’Echandole en automne 2019 :
– Ça me fait me souvenir du parcours, de tout ce qu’on a fait ensemble. Koburo c’était incroyable. Et puis le film, même un an après, je m’en souviens comme… euh… quelque chose…
– Etrange ?
– Oui (rires) étrange, c’est ça.
– C’est quoi tes souvenirs ?
– Oh le théâtre ! Le TKM, Yverdon ! Quelle chance on a eu, heureusement qu’on a pu voir la répétition du Conte des Contes ! Comme un amuse-bouche savoureux…
– Moi je regrette de ne pas avoir vu le spectacle, il y avait tellement de choses pendant la répétition, j’aurais aimé le voir pendant le spectacle…
– Oui et moi je revois au Zinéma quand il y avait l’animation et Palabres a envahi tout le petit espace du Zinéma et des gens du public venaient et disaient : « mais il se passe quoi là ? » Vraiment c’était une appropriation de l’espace….

On regarde l’objet, on commente notre regard.
– Moi je commence toujours à feuilleter à l’envers !
– Moi c’est pareil c’est comme les journaux !
– J’adore l’effet miroir !
– Je reconnais, j’ai cette photo-là dans ma chambre ! (rires)
– AH ! ÇA ÇA VIENT DE MOI ! AH LA JE SUIS LA ENCORE ! ARRÊTE, ARRÊTE!!
– Mais tu te souviens au Parc de Milan, là tu parlais de ton travail avec le bois et tu es très contemplatif sur cette photo, tu refais l’image que tu as vu à Yverdon au Musée, tout est calme.
– Mais ce thème-là, de l’étrange, il a été choisi AVANT 2020 ? Parce que vraiment ça tombait bien si on peut dire…
– A un moment-là il y a une photo où tu écris avec le doigt sur une vitre : REVOL… Révolution ? Révolte ?
– Et moi après j’ai cherché cette photo, et j’ai trouvé celle où tu écris LOI, c’est quand même pas tout à fait pareil…
– J’ai mis 3 photos de Palabres, à vous de les trouver : une photo de la fête de Noël, même si ce ne sont pas que des gens du parcours, une photo de la rue prise depuis le toit, on a trouvé un petit accès un soir, et une photo là derrière, qui fait penser à autre chose… Tu vois quoi toi là ?
– Une carte, c’est une carte, mais je ne sais pas quelle mer ?
– C’est un bout de territoire ?!
– C’est une carte au trésor ? Un bout de parchemin, peut être ?

Il y a des photos de confinement :
– Ça faisait tout drôle ça, personne dans les rues… Un jour je suis allée au bord du lac, personne sur le chemin, personne à Vidy… Les cygnes aussi ils étaient en confinement !
– Ça c’est des photos de fenêtres, des photos qu’on a mis sur le groupe WhatsApp mais je ne sais absolument plus qui les a prises, quel est le contexte, j’ai eu plein de questions sur cette photo, mais on en a perdu la trace, c’est comme ces images qui circulent…
– Cette photo je l’ai prise en semaine, en pleine journée, sur mon vélo, personne…
– C’est drôle parce que ce dont on se souvient le plus de 2020 c’est la solitude, les moments difficiles, et là quand on regarde, on voit plutôt le lien, les bons moments, les explorations possibles, alors que ce n’est pas forcément ce qu’on garde à l’esprit…

On parle de la fin du parcours, de la possibilité de rejoindre le Chœur Coriolan (groupe d’anciens participants de la Marmite qui rejoignent ponctuellement les sorties culturelles des parcours actuels) :
– Et Tilo il sera là ? Il n’y a pas d’artiste avec le chœur ? (déception manifeste)
– C’est vraiment fini là ?
– Pour moi non, ça finit toujours avec la fête, on verra si on peut faire une fête et exposer nos fanzines améliorés cet été, dans un parc ou à Sébeillon ou à Standard Deluxe…
– Je vais faire un Service Artistique, 24h sur 24, je commence, tu finis, tu commences, je finis, je te dessine un lapin ou n’importe »

Un participant n’a pas attendu la proposition de Tilo. Il s’approche de plusieurs participants et demande à chacun de laisser sa trace, réécrire sur notre support commun, échanger, dans l’instant. Demain, une nouvelle lumière…