Premier jour de novembre, premier jour de froid. La bise s’est levée sur Genève et bien sûr nous n’avons pas encore tous le réflexe des bonnets d’hiver. Heureusement le hall d’entrée du Mamco est chaleureux.

Nous avons la chance de pouvoir discuter sans pression, sinon celle de parvenir à exprimer notre opinion, incluant nos divergences, nos points de vue communs, dans un profond respect de l’autre, de soi. Aucune nécessité de polariser nos avis, de rester figé ; nous n’avons pas même besoin de parvenir à un consensus.
Exprimer librement sa pensée. Une pensée construite sur nos expériences de vies, notre sensibilité, le lieu d’où l’on vient, l’époque à laquelle nous avons grandi. Rien que pour cela, une pensée qui mérite d’être dite et entendue.

Voici donc relaté ici le parcours des Phéniciens, rédigé de manière tout à fait subjective, avec relecture et corrections de l’ensemble des participants.

Rachel Lam
Médiatrice culturelle au sein de La Marmite
Responsable des relations publiques au Théâtre du Grütli.

 

Première rencontre
Le Commerce

Je vais chercher les participants pendant qu’Alice peaufine les derniers préparatifs. C’est un peu comme une rencontre amoureuse ; je suis très impatiente de faire leur connaissance et je vois dans leurs yeux qu’ils sont aussi très contents de voir à quoi on ressemble !

Le Groupe des Phéniciens est très hétéroclite. Le point commun des participants réside dans leur amour pour le récit. Chacun a suivi au moins une fois les ateliers théâtre de Cathy, certains d’entre eux ont même participé à la création de Patrick Mohr : Eldorado. (Eldorado de Laurent Gaudé, Théâtre Spirale, 2015).

Cathy est notre relai avec le groupe. C’est elle qui est amenée à faire le lien entre nous tous, rôle qui lui sied à merveille. Cathy est jeune maman. Comédienne, elle a suivi les cours de l’Ecole Serge Martin avant de travailler au sein de plusieurs compagnies genevoises. Cet hiver elle sera absente car elle continue d’entretenir des liens très forts avec le Sénégal, sa terre natale.

Au sein du groupe nous distinguons :

  • les conteuses : Annie, Annick, Corinne, Odette et Jacqueline.
  • les exilés : Moussa, Pacho, Perdisa, Selam, Frat, Juan Carlos et Nyan.

La couleur des prénoms donne déjà le ton des différentes personnalités qui nous composent.

Pourquoi parler de commerce ? A priori ce n’est pas un sujet qui enthousiasme. Le mot commerce est d’emblée associé à l’argent, au pouvoir, à l’économie, au capitalisme, à « par là où on se fait le plus avoir ! »
Et pourtant …

Dans son acceptation ancienne, le commerce est défini comme relations sociales, amicales ou affectives entre plusieurs personnes. Être en commerce avec, entretenir un commerce avec, lier commerce d’amitié avec…
Le commerce peut également désigner le comportement d’une personne dans ses relations : Être d’un commerce agréable, facile.
Avec le temps, la définition du commerce s’est réduite à la discipline qui englobe les connaissances et la réglementation nécessaires à la vente et à l’achat des marchandises.
Elle est devenue l’activité qui consiste à échanger, ou à vendre et acheter, des marchandises, produits, valeurs, etc.

Le glissement sémantique opéré au fil des siècles laisse songeur. Questionner le commerce, c’est peut-être aussi interroger l’évolution des rapports humains. Et si tel est le cas, que dit de nous l’évolution de cette définition ?

Pour cette première rencontre, Alice nous accueille au dernier étage du Mamco, dans la salle de réunion officielle. Les néons font office d’éclairage. Pratique, cette salle offre la possibilité de diffuser du son et de visionner des vidéos. Avant de venir j’ai juste eu le temps d’aller chercher de quoi grignoter, avec la promesse de faire mieux la prochaine fois.

Afin de mieux faire connaissance, Alice propose de se présenter par la dernière chose que nous avons achetée, la dernière chose échangée et la dernière chose donnée ?
Se souvenir de la dernière chose échangée nous paraît d’emblée difficile. Certainement parce que les exemples sont rares.
Au bout de l’exercice on doit bien vite admettre que les échanges sont au contraire tellement courant que l’on ne pense même plus à y prêter attention, ni à leur accorder une quelconque valeur.

Petit tour de table
Acheter, un acte devenu banal et quotidien. Acheter des médicaments, acheter des tickets de bus, un billet pour le théâtre, un ticket de concert. Acheter des marrons, un café, une salade, acheter à manger. Acheter une veste pour l’hiver.

Echanger. Echanger des euros. Echanger des livres. Echanger une parole, échanger quelques courriels. « J’ai échangé des devoirs d’école contre un découpage. » « J’ai échangé des expériences sur la difficulté de comprendre l’AVS. »

« La dernière chose que j’ai donnée ? » : Un habit, un livre, un moment de conte, un lit d’enfant, un bonjour comment ça va ? Un stylo, une télé, une cigarette, des conseils à ma fille. Du temps pour une amie.

Alors, le commerce, positif ou négatif ? Le débat dépasse souvent largement le champ du commerce tant il est difficile d’aborder la question sans penser à tous les aspects sombres de l’Histoire. Lorsque le commerce devient traite d’êtres humains, lorsque l’enrichissement se fait sur le dos de la misère. Lorsque le corps devient marchandise, lorsqu’il se vend par bout. Lorsque même l’accès à l’eau fait l’objet de négociations. Enfin, lorsque le commerce menace notre propre survie, comment en envisager la positivité ? Où trouver des solutions ? Par quel bout commencer ?

« Avant j’étais physicien. Ce qu’il y a de commun entre la physique et le théâtre, c’est que l’on part d’une idée et l’on fait une expérience. C’est une manière d’explorer le monde, de se demander si il est possible de le voir autrement et si oui, comment ? »
Eric Salama, notre artiste

Eric Salama est metteur en scène. Il vient de créer La Ballade du soldat Bardamu, d’après Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. Il s’apprête également à mettre en scène Grande Paix d’Edward Bond. Eric est un metteur en scène engagé. Clope au bec dès qu’il peut prendre l’air, il a le regard attentif et l’attitude bienveillante.