JANVIER, retour sur le parcours
Co-animer ce parcours des « Maîtres fous » a été pour moi un enjeu de taille, un défi stimulant et un plaisir réel. Avec Barbara San Antonio, nous avons dû repenser plusieurs fois la façon dont nous encadrions ce parcours sur la peur. Et si nos visions divergeaient parfois légèrement car notre expérience et notre point de vue ne sont pas identiques, nous avons néanmoins choisi de faire de cette complémentarité une force, avec le sourire. Un beau pari.
Parmi d’autres moments forts, je me souviens : de la convivialité de notre séance de préparation de la rencontre avec le sociologue Loïc Wacquant, de notre dernière soirée à Carouge, des réactions qu’a suscitée l’exposition « Pas de panique ! » au Musée de la Main, du moment de discussion informelle après le visionnage de « Freaks ou la monstrueuse parade » ou encore de l’énergie des participants qui échangeaient des propos avec Loïc Wacquant.
En guise de bilan, voici quelques points auxquels ce parcours m’a rendu particulièrement sensible :

  • L’importance de s’intéresser aux expériences artistique ou plus généralement aux expériences de vie des personnes avec qui l’on travaille. Nous avons par exemple découvert des vidéos qu’avaient réalisées les participants à notre parcours dans le cadre de Scène Active. Un moment de partage qui a permis de briser la glace.
  • L’importance de travailler main dans la main avec les travailleurs sociaux qui connaissent les personnes que l’on rencontre. Leur soutien a parfois été précieux, notamment pour convaincre les jeunes de la pertinence de notre projet.
  • L’importance, qui plus est lorsque l’on travaille avec des publics non « captifs », de nouer des relations de personne à personne plutôt que de s’adresser un groupe. Envoyer un message personnalisé m’a semblé mieux fonctionner que de s’adresser à une « masse ».
  • L’importance d’être clair en donnant des indications pratiques – heures de rendez-vous et lieux notamment – afin de créer un climat de sécurité.
  • Et finalement, l’importance de valoriser et de prendre en compte la réaction même la moins visible aux œuvres auxquelles les participants ont été confrontés. Aucune réaction n’est insignifiante. Un mot, une phrase, un rire peuvent mener loin.

Ce dernier point me semble crucial. Car au final, ce qui me semble le plus réjouissant est le fait que nous avons permis l’émergence de points de vue, de débats, de réactions émotionnelles et intellectuelles à des œuvres exigeantes. Une visée peut-être fragile car jamais gagnée d’avance. Qui sera là ? L’œuvre leur parlera-t-elle ? Comment favoriser l’explicitation de leur ressenti ?
Une visée souvent modeste. Et en même temps, toujours ambitieuse.
Nicolas Joray, médiateur culturel

RENCONTRE DU 31 JANVIER
Voici venue la dernière séance de notre parcours. Cette dernière a consisté principalement en un atelier de danse donné par Laurence Yadi et Nicolas Cantillon, les artistes qui ont accompagné notre parcours des « Maîtres fous ». Une demi-douzaine de jeunes a participé à ce rendez-vous (certains ont attrapé le train en marche), en compagnie d’un animateur de Scène Active. La soirée s’est achevée par un repas en commun dans une brasserie.

Les peurs et la danse
Pour cette soirée, nous avons rendez-vous dans un petit local de Carouge. Les deux chorégraphes animent cette rencontre dans une lumière tamisée. Après avoir récapitulé ce que nous avons vécu durant ce parcours, le duo de chorégraphes évoque sa propre histoire : d’abord danser à Paris « avec les grands », puis inventer leur propre style de danse. « Il y a une appréhension à faire ça. Une peur d’être ridicule. C’est une peur qui a été un moteur pour inventer le FuittFuitt. » Le thème de notre parcours n’est donc pas très loin.
Puis les danseurs distribuent un carnet qui présente leur style de danse. On entend le bruit des pages tournées. Une participante demande : « Vous avez joué où ? ». En Palestine, au Moyen-Orient notamment. Est-ce que la peur de monter sur scène peut être vaincue ? Laurence répond : « Il m’est arrivé de monter une fois sur scène sans avoir peur. C’était pourri. » Quelqu’un évoque sa peur du jugement des autres, présente notamment lorsque l’on fait un travail artistique. Laurence affirme que l’on arrive à s’en détacher avec le temps.
Puis nous parlons plus précisément des peurs qui ont émergé durant le parcours. « Moi j’ai plus trouvé intéressant que flippant », confie un jeune. Une autre ajoute : « J’avais peur de rater les rendez-vous. ». « J’ai peur d’arrêter », conclut une autre.

L’heure de bouger
Ensuite vient l’heure de la pratique : une initiation au « Fuitt fuitt ». Les danseurs nous invitent à mouvoir nos bras, notre tête, nos épaules, nos jambes. Ils nous demandent de tordre notre corps de façon souple, sans musique. Les corps se déroulent ou s’enroulent sur eux-mêmes. Et nous terminons cette atelier par une improvisation commune.

Conclure par un souper
La soirée se conclut par un repas. Au menu, discussions sur le fitness et sur l’avenir des jeunes. Quelques rires, également. Une belle manière de se dire au revoir. Les danseurs insistent sur le fait que nous sommes les bienvenus lors de leurs répétitions. Notre aventure n’est peut-être pas totalement terminée.
Nicolas Joray

JANVIER, retour sur le parcours
Revenir et se remémorer nos premiers pas ensemble dans ce parcours permet de mesurer – toujours – le chemin parcouru même invisible entre les participants et les médiateurs de ce parcours atypique.
Drôle de proposition que d’aller à la rencontre de jeunes et de leur proposer un parcours culturel quand nous ne nous connaissions pas, juste par l’entremise de Scène Active qui nous introduisit auprès de ceux qu’ils avaient cotoyés de manière forte lors de leur dernière création pour leur saison 2015-2016.
Nous sommes passés de l’autre côté du miroir quand nous avons accepté chacun d’oser aller vers l’inconnu d’un parcours culturel pour découvrir les propositions de La Marmite !
Et ces différentes rencontres mises bout à bout ont ouvert un champ des possibles, celui de la connaissance, de la découverte, de l’échange et ont permis un dialogue qui n’existe pas dans la vraie vie avec des jeunes, car quelles sont véritablememt les opportunités de rencontres après un spectacle, un film, une conférence, comment oser prendre la parole en public, comment se dire ?
Proposer un tel parcours à des jeunes était un défi à relever tant leur vie sont en construction ici et là, entre des études, des cours du soir et des petits jobs, pas facile dès lors de juste se réunir !
Mais nous y sommes malgré tout parvenus en osant également remettre en question à un moment de notre parcours, un soir autour d’un verre au bistrot Le cabinet, le rythme du parcours et proposé pour la fin une formule plus rythmée, plus condensée correspondant mieux à ce groupe des Maîtres fous et peut-être aussi aux chorégraphes qui nous ont accompagnés !
Nos réunions ont gagné en succès quand nous avons pu également offrir de quoi sustenter leur appétit et cela a rendu d’autant plus sympathiques nos rencontres, nous avons même rebaptisé la rencontre avec Loïc Wacquant : la soirée hamburger-Wacquant !
Ce fut là une très belle découverte pour ces jeunes que de visionner ces films tant la révolte reste la même semble-t-il, et questionne d’autant des jeunes qui n’ont pas tous encore trouvé leur « place » dans la société.
Et on ne sait comment, mais à un moment donné, nous avons fait un peu plus corps ensemble, et avons partagé dans l’intimité d’une arrière-cour à Carouge un dernier échange où les chorégraphes Laurence Yadi et Nicolas Cantillon nous ont révélé leur formule dansée et nous avons dansé le Fuitt fuitt…final d’un parcours culturel pour mieux se découvrir aussi entre participants et médiateurs.
Alors oui la culture peut réunir et faire tomber des barrières, des a priori mais il faut pour cela se donner un peu de temps et cette médiation culturelle proposée par La Marmite a su relever ce défi  en ouvrant des possibles sur le monde et la culture avec une parenthèse entre des artistes, des médiateurs et des jeunes qui s’est refermée cet hiver après 6 mois de parcours culturel.
Merci.
Barbara San-Antonio

14 JANVIER 2017

Nous avions envie de donner un aperçu aux participants de ce que sera la point final de notre parcours sur la peur, à savoir une production artistique qui « interprétera » les réactions qu’aura suscité ce parcours. Nous avons donc proposé aux deux danseurs qui nous accompagnent de créer et filmer une séquence chorégraphique qui cristalliserait certains moments vécus par le groupe. Les artistes se sont prêtés au jeu et ont partagé par message une courte séquence de danse filmée. « Trop fou la vidéo ! », a réagi une participante. « Encore, encore ! », a écrit une autre. La suite attendra la fin du parcours.

RENCONTRE DU 28 JANVIER 2017 (1/2)

Le samedi 28 janvier 2017, Les Maîtres fous avaient rendez-vous pour l’étape lausannoise de notre parcours sur la peur : la visite de l’exposition « Pas de panique ! » au Musée de la Main. Deux participants étaient finalement présents pour cette virée. Nous avons pris le train pour Lausanne, discuté notamment de leur expérience de visiteurs de musée durant le trajet. Notre déambulation dans le musée a été suivie d’un repas et d’une incursion dans un magasin dédié aux mangas, jeux vidéos et autres univers fantastiques à la demande d’un participant. Le fait d’être en nombre réduit a un avantage : nous avons développé, tout au long de la journée, une qualité d’échange remarquable dans des situations plus ou moins informelles. Les deux participants présents se sont largement exprimés sur leurs conceptions de la peur ainsi que sur leurs intérêts, en général.

En préambule, des discussions
La visite du musée a été précédée et suivie de moments de discussion très riches dans le foyer de l’institution culturelle lausannoise. Les instants d’avant la visite ont alimenté l’horizon d’attente des participants en leur permettant de réfléchir à leur vision et leurs expériences de la peur à travers des questionnements – par ailleurs présents dans l’exposition. De quoi peut-on avoir peur dans la vie ? Comment se sent-on physiquement lorsqu’on a peur ? Comment lutter contre la « mauvaise peur » ?
Voici quelques échos des peurs qui ont été évoquées :
– La peur du futur. « Ne pas savoir où on va arriver. »
– La peur de la mort. « J’ai peur de ne pas savoir comment ça va se passer. C’est pas la mort en soi qui me fait peur, c’est le fait que ça s’arrête, qu’on ne puisse pas être éternel, qu’on ne puisse pas finir ce qu’on est en train de faire.
– L’angoisse de manière générale, « qu’on porte un peu tous les jours, à n’importe quel âge ».
– Le stress lié à internet, aux médias.
– La peur positive : un saut en parachute, les montagnes russes.
– La peur de la solitude. « J’apprécie difficilement. »

Visite et photoreportage
Puis est venu le temps de la visite. Au programme, les effets de la peur dans le corps, les peurs chez les animaux, les différences entre bonnes et mauvaises peurs, les phobies et les angoisses, les solutions. Cette visite s’est faite de manière informelle. Les participants ont cependant reçu une consigne : ils devaient photographier trois installations ou lieux qu’ils trouvaient marquants dans l’exposition et expliquer pourquoi.
Voici le résultat :
musée1 « Apprendre et savoir qu’il y a d’autres amygdales. J’aime le côté apprentissage. »
musée2« Le pont où on n’est pas en équilibre, avec les barrières. Je me sens très vulnérable. »
musée3 « C’est aller vers quelque chose… on ne sait pas ce que c’est du tout. Le stress ! »
musée4« Les conséquences de la peur. Ça m’a intéressé. Savoir ce que ça provoque. »
musée5musée6« Ça me fait flipper à mort. J’aime pas trop être regardé-e. J’aimerais bien être transparent-e. Je dois avoir un problème. C’est un truc que je vis au quotidien. »

Pour finir, des discussions
Nous avons terminé notre visite par un moment de discussion dans le foyer du musée, verre de sirop à la main. Bilan de l’exposition : « Stylée, dommage que ce soit pas plus long. » « Intéressante, ça explique tous les phénomènes. Ludique et intéressante. Dans l’ensemble ça a bien marché, j’ai eu assez peur. »

RENCONTRE DU 28 JANVIER 2017 (2/2)

Après notre visite de l’exposition « Pas de panique ! » au Musée de la Main à Lausanne, deux autres participants au parcours des Maîtres fous sont venus nous rejoindre pour assister à une répétition de danse à Genève. Laurence Yadi et Nicolas Cantillon, les artistes qui accompagnent notre parcours, nous ont en effet invités à un filage d’un de leur spectacle, afin de découvrir leur univers artistique. Une initiative généreuse et judicieuse !
Tout d’abord, un café dans l’entrailles du Grütli ainsi que des discussions de couloirs ont été l’occasion pour les deux personnes qui nous ont rejoints d’interroger les visiteurs de l’exposition sur leur ressenti par-rapport à celle-ci. Cela a d’ailleurs été une de leurs premières questions, à toutes les deux, lorsqu’elles sont arrivées : « Alors, comment c’était l’exposition ? ». Un participant a par exemple répondu qu’il avait apprécié l’exposition en la trouvant un peu courte. Une autre personne a évoqué la peur qu’elle a éprouvée lorsqu’elle s’est immiscée dans une installation visant à surprendre les visiteurs. Il semblerait que cette restitution de la visite de l’exposition à l’intérieur du groupe ait suscité des envies, puisqu’une participante nous a demandé s’il était possible qu’elle se rende par elle-même au Musée de la Main pour visiter « Pas de panique ! ».
Ensuite est venu le moment d’assister au filage du spectacle Tarab.

musée7

La journée en général, exposition et répétition de danse, a par ailleurs été l’occasion de connaître davantage les participants à ce parcours de La Marmite. Nous avons notamment parlé d’expositions et de danse (de salon, contemporaine), mais également de séries, de livres (science-fiction, développement personnel), de musique (rock, bossa-nova, metal). Ces moments de discussion ont nourri les liens que nous tissons avec ces personnes.

RENCONTRE DU 30 JANVIER 2017

Après avoir assisté à un spectacle de danse, après avoir discuté avec un sociologue, après avoir visité une exposition, notre dernière rencontre avec une œuvre a consisté en un visionnage de film. Lundi 30 janvier 2017, nous avons assisté à Freaks ou La monstrueuse parade de Tod Browning à Fonction : Cinéma, en compagnie d’autres spectateurs – cette séance organisée par La Marmite était en effet publique. L’histoire ? Celle d’humains qui font de leur différence (amputation, nanisme, hermaphrodisme, etc.) un métier en travaillant dans un cirque. L’œuvre cinématographique de 1932 interroge notamment notre rapport à la normalité : est-ce que ce sont les gens qui sont censés faire peur à cause de leurs particularités physiques qui font le plus peur ? Ou serait-ce certains gens « normaux » qui sont les plus effrayants ?
Une demi-douzaine de jeunes ont participé à ce rendez-vous. C’est-à-dire la quasi totalité des personnes présentes en début de parcours. Une réussite pour nous, médiateurs, qui avons repensé le parcours en une formule plus condensée et qui avons relancé les jeunes plusieurs fois en insistant sur l’importance de leur présence lors de ces derniers rendez-vous : récolter leur parole et donner un écho à leurs réactions est en effet un des buts des parcours artistiques.

« Un lien de solidarité »
La séance de cinéma s’est poursuivie par des discussions informelles. La plupart des personnes présentes ont apprécié le film. Elles nous ont confié qu’elles avaient bien fait de venir, qu’elles avaient trouvé la proposition artistique touchante ou encore qu’elles avaient eu peur du côté « vieux film » mais avaient finalement trouvé le rythme entraînant. Une spectatrice nous a néanmoins affirmé qu’il s’agissait du « pire film de sa vie ». Raison pour laquelle elle s’est endormie durant la séance. Elle a ajouté qu’elle n’appréciait pas les films qui dataient. À chacun sa réaction.
Nous avons proposé à ceux qui le voulaient de nous faire un retour par écrit sur le film. Deux participantes nous ont fait ce cadeau :
– Sanaa : « J’ai trouvé ce film accrochant dès le début et la petite dame qui sort avec Hans trop touchante. »
– Yasmine : « Pour résumer mon avis sur le film, déjà je dirais qu’il m’a beaucoup plu. C’était divertissant et agréable. Je me suis super facilement plongée dedans malgré son rythme tranquille. J’ai été très touchée par chacun des personnages au fil des histoires qui les relient les uns aux autres (les diverses histoires d’amour et ce lien très fort de communauté, de solidarité) bref par un côté très humain qui ressort dans ce cirque de monstres. Pour un film aussi vieux, je l’ai trouvé accessible et c’était vraiment chouette !
Il nous parait intéressant que Yasmine soulève ce « lien très fort de communauté et de solidarité » qui unit les personnages de Freaks. Notre groupe s’intitule « Les Maitres fous » en référence au film de Jean Rouch. Il y montre des personnes qui s’adonnent à un rituel. Rituel qui peut être interprété comme une forme de contre-pouvoir face au colonialisme. Une manifestation d’un lien de communauté et de solidarité, justement. N’est-ce donc pas également un des enjeux de notre parcours ?4