Lettre France ATD Quart Monde sur la misère et la culture

Chers amis,
Dans chacun de nos groupes locaux, chacune de nos régions, nous nous apprêtons à célébrer la Journée mondiale du refus de la misère, que ce soit pour tous l’occasion de vivre de beaux moments d’échanges, de rencontre et de fraternité, de mettre en route de nouvelles alliances dans le domaine de la culture.
Cette journée sera la première étape d’une campagne de mobilisation pour l’année 2017 que nous avons tous en tête.
Avec nos partenaires, nous avons choisi le thème de la culture : « Cultivons nos liens, partageons nos cultures ». La culture dans le sens où elle permet de se réconcilier avec soi-même, son histoire et avec les autres ; de se relier à soi-même, aux autres, aux choses et au monde. La culture parce qu’elle seule permet un partage et des échanges dans une véritable réciprocité (j’apprends de toi et tu apprends de moi et ensemble nous sommes créateur de beauté, d’une culture nouvelle…). La culture parce qu’elle permet la reconnaissance de l’identité culturelle propre à chacun et d’exprimer tout haut la résistance des siens. La culture est vivante, elle se construit en permanence.
La discrimination empêche de dire et de développer sa culture. Les personnes les plus pauvres qui ont vécu tant de ruptures successives ont trop souvent du mal de se reconnaître d’une identité commune avec d’autres.
Derrière tout cela il y a également la volonté de contrer cette tendance dans notre pays à dresser des populations les unes contre les autres. Nous avons la conviction que les populations d’ici et les populations d’ailleurs peuvent se reconnaître d’un même combat pour la dignité (« Populations d’ici, population d’ailleurs : un combat pour la dignité » est le nom du groupe de travail mis en place pour approfondir nos engagements avec les populations minoritaires déplacées).
Il s’agit donc de « Culture » dans le sens où elle seule permet de faire ce passage de l’humiliation et l’exclusion à la participation. En ce sens, le thème de la culture est en parfaite adéquation avec le thème retenu par l’ONU au niveau international : « De l’humiliation et l’exclusion à la participation : Eliminer la pauvreté sous toutes ses formes.»
Nous vous livrons quelques réflexions de Joseph Wresinski sur la culture qui peuvent nous soutenir au moment du 17 Octobre. La première est tirée de son intervention à Beaubourg en 1987 et les autres sont tirés de son intervention en 1985 dans un colloque intitulé « Culture et pauvretés » :
« Entre cette situation de dépendance d’un assistanat et celle d’une maîtrise des Droits de l’Homme, la culture doit faire la différence. Il s’agit tout d’abord de reconnaître la part de culture dont vivent les familles exclues. (…) Car vouloir que des hommes sortent de l’exclusion avant de leur offrir les moyens d’une culture libératrice est un non-sens. Ce serait demander à une population de prendre en main ses lendemains en lui interdisant son passé et son présent. (…) »
«L’action culturelle est effectivement primordiale. Elle permet de poser la question de l’exclusion humaine d’une manière plus radicale que ne le fait l’accès au droit au logement, au travail, aux ressources ou à la santé. On pourrait penser que l’accès à ces autres droits devient inéluctable, lorsque le droit à la culture est reconnu ».
« Il est vrai que les hommes ne se reconnaissent pas tous mutuellement. Certains s’imaginent avoir absolument besoin de l’exclusion, du dénigrement d’autres hommes, d’autres groupes, pour s’affirmer eux-mêmes. C’est un fait que, pendant des siècles, la violence faite aux pauvres a été créatrice de sécurité, sinon de culture : elle excluait certains des nôtres devenus pour nous des boucs émissaires parce qu’ils incarnaient ce qu’une société ne voulait pas être, mais dont elle n’était pas à l’abri. Aujourd’hui cependant, la peur de tout ce qui n’est pas nous n’est plus la même, nous réalisons que les hommes peuvent ensemble aller plus loin dans la diversité. Nous savons mieux aussi, en ces temps-ci, que toute action culturelle d’importance qui ne se fonderait pas dans une certaine mesure sur l’unité et le rassemblement de tous les hommes, serait vouée à l’échec, non seulement au regard des idéaux qui nous habitent aujourd’hui, mais aussi parce que pour avoir de l’avenir dans une humanité qui « se mondialise », une culture doit être porteuse d’universel. Serait donc vouée à l’échec à terme une action culturelle qui exclurait trop massivement les pauvres. L’élargissement de notre vision sur le partage de la culture ne va pourtant pas encore jusqu’à prendre en considération les plus pauvres. Tout se passe encore comme si nous refusions l’idée que le Quart Monde puisse être digne et capable de culture, l’idée qu’il puisse s’être forgé sa propre connaissance, une certaine maîtrise de la vie et du monde, fragiles peut-être, mais qui puissent avoir un intérêt pour d’autres. Le Quart Monde, aux yeux de beaucoup, c’est le vide, le désintérêt, l’inintelligence et la non-créativité innées. Le peu qu’il pense est, à la limite, mauvais. On peut essayer de l’éduquer mais il est trop frustre pour qu’on puisse songer partager avec lui une culture. Or, les familles du Quart Monde ont une connaissance et une réflexion sur le monde. Malheureusement, celles-ci sont élaborées en marge du grand mouvement de la maîtrise et de la compréhension du monde, en dehors des courants de pensée et des idées qui ont forgé les cultures humaines. »
Bonne préparation finale et bon 17 octobre à chacune et chacun !
Toute notre amitié.
Christophe, Marie-Aleth et Pascal