Séance du 17 mars 2017 – Restitution avec artiste

Le parcours arrive à son terme, déjà, qu’est-ce que s’est passé vite ! On se donne rendez-vous à la maison Joseph en fin d’après-midi afin de préparer notre séance de restitution. Une rencontre que l’on veut festive. Dans notre groupe, le mot d’ordre est le partage. Il est drôle de constater a posteriori qu’il s’opère bien souvent autour d’une table.

Il ne nous a pas fallu attendre la visite à l’Alimentarium de Vevey pour comprendre qu’être à table ne signifie pas uniquement satisfaire un besoin ou prendre du plaisir autour d’un repas mais c’est avant tout un moment de convivialité, partagé en groupe.

Chantal, notre cordon-bleu attitré, prend les commandes en cuisine. Ce soir au menu, nous mangerons un riz Biryani à l’indienne ! Tout le monde contribue et met la main à la pâte. Petit à petit un délicieux fumet épicé s’émane de la cuisine attirant les derniers arrivants. Désormais l’équipe est au complet.
Le climat est doux en ce début de soirée, le printemps arrive. C’est décidé, nous ferons notre premier repas de l’année en terrasse ! Une grande table se dresse sous la pergola de la maison Joseph. Nous prenons place et dégustons la recette de Chantal. Succulente ! Tout le monde réclame la recette. L’ambiance bat son plein.
Mais pas de temps à perdre, le groupe prend au sérieux la mission de La Marmite. Il est l’heure de la table ronde. On décide de s’installer autour de la table du petit salon afin de discuter au chaud de ce que l’on a vécu ensemble durant ce parcours, afin de partager anecdotes, opinions et ressentis.

Au début de la séance, on discute de la rencontre avec Maurizio Lazzarato qui s’était déroulée quelques jours auparavant. Celle-ci ayant eu lieu à un horaire peu commode, tout le monde n’avait pas pu venir ; Laurence prend donc la parole afin d’expliquer aux absents les sujets abordés avec l’invité. Une synthèse d’une grande justesse ! Ce qu’il faut en retenir aussi c’est qu’il est un homme accessible, intéressant et chaleureux.

Avant la rencontre, le doute planait : serons-nous rapidement dépassés par la technicité de son langage ? L’avis est tout à fait unanime au sein du groupe, il a parlé de façon compréhensible et tout le monde a trouvé les discussions partagées avec lui très intéressantes !

La séance continue, place au bilan. Il nous faut désormais retracer ce que l’on a vécu ensemble durant notre parcours de La Marmite. Pour cela, notre artiste écrivain Jérôme, nous propose un petit atelier d’écriture. A partir des « Je me souviens… » de Georges Perec (1978), nous avons laissé vagabonder nos pensées en couchant sur le papier nos souvenirs spontanés liés au parcours ou à l’expérience de l’injustice – thématique de notre groupe. La lecture de ces souvenirs a fait ressurgir diverses émotions, passant des rires à la colère et parfois même aux larmes. Une manière poétique de dresser le bilan. En tout cas, La Marmite et ses rencontres, on s’en souviendra !

La séance touche à sa fin comme notre parcours. Nous baignons déjà dans la douce nostalgie de nos rencontres. On se dit que cela ne peut pas se terminer comme ça. Mais nous voilà soulagés, Mathieu nous apprend que La Comédie est ouverte à l’idée d’accueillir le vernissage du texte du Groupe Jeanne des abattoirs. Eventuellement le 30 mai ! On s’amuse à imaginer ensemble le programme de la soirée : lecture performée du texte de Jérôme notre artiste ; médiateur mais aussi musicien, Jean-Luc pourrait jouer de la contrebasse et Chantal a une idée en tête concernant la scénographie de la scène. Elle se tourne vers moi (Alice, médiatrice mais aussi artiste plasticienne) et me dit : « je suis venue voir ta dernière exposition et j’ai adoré tes sculptures en papier mâché ! On pourrait organiser un atelier et en produire avec toi ! On discute avec joie de ce vernissage. Bref, cette soirée nous réserve plein de surprises. On se réjouit déjà tous de se retrouver en cette future occasion et nous le savons pertinemment, Marmite ou pas, nous continuerons tous à nous voir !
Alice Izzo

Rencontre du 14 mars avec Maurizio Lazzarato


Nous recevons aujourd’hui Maurizio Lazzarato dont la venue prévue au mois de décembre avait été annulée suite à un souci de santé temporaire.
Plane encore l’appréhension d’avoir à faire à quelqu’un d’hermétique. Nous craignons d’être perdus face à sa grande érudition en économie, sociologie et philosophie.
Mais dès l’accueil dans le jardin, les choses s’engagent favorablement. Lillo qui est Sicilien trouve les mots qu’il faut pour accueillir généreusement Maurizio originaire du nord de l’Italie.
Un tour de table, chacun se présente et se raconte simplement. Quelques chiffres : Mimi nous parle de ses 6 enfants et 5 petits enfants, Michèle de ses 4 enfants et ses 2 maris, Aurore, la benjamine de 26 ans est depuis 1 an et demi à Genève et Laurence à ATD depuis 2012. Lillo est dans le mouvement depuis 17 ans, craignait d’abord qu’il ne s’agisse d’une secte avant d’y entrer via les bibliothèques de rue. Il nous raconte la joie d’aider et la force qu’il y a puisée. Marie-Thérèse a parcouru pendant 15 ans les routes en caravane, travaillant dans la fripe et sur les marchés et Ana, qui est à Genève depuis 30 ans, sera exonérée d’impôt pendant 10 ans si elle retourne profiter de sa retraite au Portugal ! Enfin, Cathy volontaire depuis 25 ans dans le mouvement et qui reprend pour notre hôte l’histoire d’ATD et du centenaire de la naissance de son fondateur, Joseph Wresinski.
Maurizio se présente à son tour. Issu d’une famille ouvrière italienne dont 4 oncles émigrèrent en Suisse, il passe rapidement sur ses longues études universitaires, donne l’impression d’avoir cumulé les petits boulots en gardant soigneusement son temps libre pour étudier la philosophie. A écrit une dizaine de livres, voyage, donne des conférences et contribue à la création d’installations artistiques.
Nous parle de ses premières expériences de l’injustice, « pas bien compliqué d’en trouver quand on est né dans ce milieu »: les grèves du mouvement ouvrier, le manque d’argent qui s’ensuit, le crédit, l’endettement. Ses parents l’encouragent à étudier pour ne pas aller à l’usine comme eux ; ses potes filoutent.

Le tour de questions s’engage facilement. Aucune n’a vraiment été préparée à l’avance mais il y a dans le groupe la mémoire des œuvres rencontrées lors de notre parcours. Notre thème « l’expérience de l’injustice » ainsi que le vécu de chaque participant, militant au coeur de la précarité nous a chargés de mille indignations et réflexions qui résonnent parfaitement avec les domaines de recherche de Maurizio.
Mimi : « pourquoi n’allons-nous pas manifester pour nos droits ? »
Marie-Thérèse : « ma famille était dans la politique , alors… » s’ensuit un long silence lourd de sens.
Michèle, emplie de colère: « il ne faut pas prendre de crédit et faire la révolution ! »
Ana: « Ce n’est pas la faute aux riches mais aux pauvres qui restent immobiles alors que nous avons la connaissance. Il ne faut pas lutter contre la pauvreté mais contre la richesse ! »
Lillo: « Allez manifester ! »
Jean-Marie interroge la viabilité des expériences « vertes » alternatives et demande si l’argent gardera toujours sa valeur.
Cathy: «  La misère n’est pas qu’économique. C’est aussi le défaut de considération, l’enjeu de la dignité face à la domination. »

Maurizio écoute, répond, contextualise et remet en perspectives chacune de nos interrogations et remarques. Il les reconnait comme très pertinentes. Avec simplicité – et parfois de l’humour – il démonte par exemple le concept de «La main invisible du marché » de l’économiste écossais Adam Smith. Il rappelle aussi que par le passé des expériences de structures sociales ou économiques alternatives ont été tentées.
Ainsi, au chapitre des résistances possibles, il rappelle qu’au XIXe siècle on faisait grève « ensemble » alors qu’aujourd’hui l’atomisation de la société et la mise en compétition de chacun contre chacun a éloigné l’idée commune d’une révolution. « Tant qu’on ne touchera pas au porte-monnaie des riches… » Idem pour la dignité : elle se gagne et « s’arrache » mais n’est pas donnée.
Il y a une saine révolte, assortie d’un sentiment d’impuissance et d’injustice mais tous avons l’impression de mieux comprendre les ressorts de ce système qui exploite et humilie. Nous structurons ensemble une pensée critique et y associons également nos ressentis, nos expériences.

De quoi s’agit-il ? Une rencontre ? Un débat ? Une université populaire ? Un échange ? Tout cela à la fois et cela fait sens.
Maurizio et Mathieu filent à l’Université de Lausanne ou Maurizio donne une conférence. Nous avons la tentation d’y aller, car chacun se demande, conquis, si ce monsieur est capable d’être compliqué, alors que son penchant naturel semble la simplicité et le plaisir de transmettre.
D’aucuns rappellent en riant que Mathieu, tout pareillement, peut-être bien plus complexe à l’écrit qu’à l’oral !!
Jean-Luc Riesen