Stéphane Blok
Poète, musicien

Né le 10 juillet 1971 à Lausanne, Stéphane Blok est poète et musicien. Tout d’abord musicien de rue, il étudie la musique à l’École de Jazz et Musiques Actuelles de Lausanne de 1990 à 1994.

« Co-librettiste de la Fête des Vignerons, le poète et musicien lausannois arpente les routes et les rivières qui vont du jazz au théâtre, du lac Léman au vaste monde, de la danse au cinéma, de la littérature à la performance

Son site internet s’intitule Stéphane Blok/Poète et musicien. Le chanteur est-il poète avant que d’être musicien ? « Non. Parole et musique, c’est une convention, je crois. Plus les années passent, plus j’ai la conviction qu’il s’agit d’une seule et même chose. » L’invention de l’imprimerie aurait suspendu la mémoire orale. Les neumes, ces signes juchés au-dessus des mots qui servaient jadis à la notation du plain-chant, ont disparu. Stéphane Blok rappelle qu’en Inde les joueurs de tabla traduisent des syllabes mnémoniques, que les flûtistes japonais jouent des poèmes. Il évoque le parlé-chanté des aèdes, et la musique arabe qui improvise le rythme en se basant sur le texte tandis que la musique occidentale verrouille le tempo…

Dans son local baigné d’une douce lumière d’arrière-saison sommeille le piano des Babibouchettes et veille l’ampli de Léon Francioli. Il y a un piano, une batterie, une guitare fretless baryton et, sur les murs, des affiches vintage du Montreux Jazz et du BBFC (Bovard-Bourquin-Francioli-Clerc). Artiste polyvalent, individualiste épris de collectif, sélénien aux pieds bien sur terre, Stéphane Blok est un rêveur travailleur, passionnément curieux des arts et des gens.

Depuis un quart de siècle, il est hyperactif sur les fronts de la musique, de la chanson, de la littérature, de la danse, du théâtre, de la performance, du multimédia… Il a sorti une dizaine de disques d’humeur plutôt mélancolique qui font sensation ici et ailleurs, écrit des livrets pour chœurs sur des musiques de Nicolaï Schlup, coréalisé Ixième avec Pierre-Yves Borgeaud et signé la musique d’Hiver nomade, de Manuel von Stürler, chanté Céline ou Ramuz avec la compagnie Les Sélénites, publié trois livres chez Bernard Campiche…

Il a écrit le livret de la Fête de Vignerons en tandem avec Blaise Hofmann : « Une grande chance, j’ai rencontré un ami. » Différents et complémentaires, ils se sont réparti naturellement les tableaux. A Blaise, les travaux de la terre ; à Stéphane, « les événements naturels, les couleurs du lac, les présages ». Le lac Léman, qu’il a chanté aux côtés de Léon Francioli dans La grande eau, reste une « source d’inspiration intarissable. Le brouillard qui monte, la lumière, les glaciers et, plus loin, la mer… La région s’ouvre sur le cosmos. »

Affranchis des dieux antiques qui squattaient la Fête depuis la fin du XVIIIe siècle, les auteurs ont su traduire différemment l’intrication de la nature et de l’homme : « La nature est qualifiée d’« environnement ». Par sentiment de supériorité, nous nous en excluons alors que nous sommes la nature. » Le réchauffement climatique influe sur les travaux de la vigne. « Cette année, les vendanges ont commencé en Suisse au même moment que dans le Languedoc-Roussillon. Un bond de 600 kilomètres dans le sud… On ne sait pas où on va. »

L’inspiration passe par un gros travail en amont, notamment dans les archives de la Confrérie des Vignerons, pour trouver la « texture » de la Fête. Stéphane Blok a relu les anciens livrets. Ils traduisent les humeurs du temps : « On ne peut pas se soustraire au jugement du temps. Au début du XXe siècle, la chimie s’imposait pour lutter contre les parasites qui allaient dévorer la vigne. De nos jours, la chimie n’est évidemment plus une solution. Quand on relira notre livret dans trente ans, on y verra les humeurs d’aujourd’hui. On est des gamins face à l’Histoire. »

Stéphane Blok s’est aussi nourri auprès de ses amis et maîtres. Alexandre Schild, le spécialiste de Ramuz, qui parle du regard des gens de la ville sur la campagne. Ramuz, « toujours juste », qui enrichissait de poèmes ses écrits philosophiques et a traversé des périodes politiques tourmentées sans jamais se fourvoyer. Gilles Clément, théoricien du jardin en mouvement, promoteur de l’art involontaire. Le contrebassiste Léon Francioli qui lui a montré les chemins de la liberté créatrice. Et Pessoa. Il a récemment publié dans Le Temps un hommage au petit employé lisboète, dont il vénère « l’écriture fantastique et le culte de la discrétion ».

Il y a quelques années, Stéphane Blok a adopté la guitare fretless, histoire de sortir des stéréotypes (« Ma guitare ne sonnera plus jamais comme celle de Bob Dylan »), de s’émanciper des gammes bien tempérées, d’inventer une nouvelle approche de la chanson française. Dans les aigus, l’instrument chante comme un oud, dans les basses il vrombit comme un violoncelle ; toutes les cordes vibrent à l’unisson, il résonne comme un tambour et miaule occasionnellement comme une slide. Les micro-chromatismes qu’il exhale renvoient sans doute aux sonorités des Fêtes d’antan.

Certains estiment que le pays de Vaud, contrairement à certaines régions de Suisse centrale, est orphelin de toute tradition folklorique. Stéphane Blok sourit : cette théorie, notamment professée par Léon Francioli, il la connaît bien. Et la réfute. Il pense qu’après la Révolution française, le canton de Vaud, longtemps dominé par Berne, est allé chercher ailleurs des espoirs et des solutions, se façonnant une identité du côté de Paris, ou de Lyon en suivant le Rhône. « L’identité musicale vaudoise est indéniable. » Pour preuve, ce disquaire new-yorkais spécialisé dans le jazz qui brandit un disque du BBFC quand on lui demande quelque chose de nouveau et d’intéressant.

Un disque de Stéphane Blok s’intitule Le principe du sédentaire ; le dernier, Chansons des routes et de rivières. Partir ou rester ? Les semelles de vent ou les godillots plantés dans la glèbe ? Il est conscient du paradoxe. « Est-ce que je tourne en rond ? J’aime bien vivre à Lausanne, j’aime bien la quitter pour voyager et y revenir. » Il précise que les deux disques témoignent à vingt ans d’intervalle de leur époque. Le premier parle d’un temps individualiste, quand une lumière au cinquième étage d’un immeuble de banlieue indiquait peut-être un poète au travail ; le second est une ode au mouvement dans un monde globalisé.

« O que mes trains s’en vont […] que mes mille bouteilles », chante Stéphane Blok. De rouge ou de blanc, ses Mille bouteilles ? « Bonne question ! A l’autre bout du monde, en Inde par exemple, s’il me manque quelque chose c’est un petit blanc sec frais de chez nous. Un petit chasselas… Sinon je suis un buveur de vin rouge. »

Antoine Duplan, Le Temps