La Marmite – Sophie KLIMIS, philosophe – Rencontre publique
Lundi 3 février 2020, 20h au Centre Martin Luther King, Université populaire à Annemasse.
Présentes du Chœur Pylade : Laurence, Natacha // compte-rendu pour le Chœur, notes prises de la rencontre par Natacha Jaquerod.

Pour information, repris du site Internet de La Marmite :
Sophie Klimis est professeure de philosophie en facultés de droit, de philosophie et lettres à l’Université Saint-Louis-Bruxelles. Elle a publié plusieurs ouvrages dont Le statut du mythe dans la Poétique d’Aristote, Archéologie du sujet tragique, L’énigme de l’humain et l’invention de la politique : Les racines grecques de la philosophie moderne et contemporaine, Penser, délibérer, juger : Pour une philosophie de la justice en acte(s) ainsi qu’une trentaine d’articles dans les domaines de la philosophie ancienne, de la réception de la pensée grecque aux XIXe et XXe siècles, de l’anthropologie philosophique, de la philosophie politique et de l’esthétique.
Proche de l’activité des artistes, Sophie Klimis est également engagée dans l’interrogation de l’héritage du penseur Cornelius Castoriadis et de son appel à l’autonomie.
Penseure à sa suite de la démocratie radicale, Sophie Klimis a récemment publié un article portant sur «Les puissances politiques du vivre : créer le commun du bonheur, par-delà la sidération de la vie nue.»
Mentionnons, enfin, qu’elle est marraine de La Marmite depuis 2019. extrait de la newsletter de La Marmite du 31 janvier 2020 :
[…] Sophie Klimis invente un nouveau «schème de pensée politique», celui de l’«harmonie discordante» –formé sur une expression tirée d’un fragment d’Héraclite (lequel parle cependant d’harmonie «oscillante»). «Ce schème, précise Klimis, vise à rendre pensable la dynamique dialectique de l’institution démocratique, telle qu’elle résulte des mouvements contradictoires qui l’habitent: celui de la recherche de stabilité dans une tradition instituée pérenne, et celui de la critique, soit de la relance interne d’un mouvement instituant pouvant aller jusqu’à l’insurrection.» […]

L’harmonie discordante, article de Mathieu Menghini paru dans Le courrier, 24.01.2020

Sophie KLIMIS, philosophe – Rencontre publique Faire communauté
Introduction et modération : Mathieu Menghini. Lectures par le comédien Claude Vuillemin.

Mathieu Menghini explique en quelques mots ce qu’est La Marmite. L’auditoire, très attentif, semble conquis. « Une fois qu’on est entré dedans, on ne veut plus en ressortir » commente à voix basse Laurence.

Sophie Klimis se réfère à la pensée grecque et à Aristote, elle évoque les racines de la démocratie. Elle précise qu’il est difficile aujourd’hui de prendre les Grecs comme modèle de démocratie. Il s’agit d’une démocratie « excluante » – les femmes et les esclaves n’en font pas partie – mais il y a égalité pour ceux qui y entrent.

1. Qu’est-ce que la communauté ?

Une première notion : un « agir » commun. La définir par une praxis. La finalité définit la forme de la communauté.
Aristote classe différentes formes de la communauté : la famille (vivre, subsistance biologique), la cité (la finalité, c’est de bien vivre, amélioration, on devient plus juste, plus vertueux), le village (ce sont les échanges).
L’alliance militaire ou l’alliance commerciale ne forment pas une communauté.
La première communauté, c’est la politique, la fabrique politique du citoyen. La chose la plus importante est l’éducation.
Sophie Klimis, en passant, déclare qu’il faudrait aujourd’hui s’en inspirer !
Faire communauté : les philosophes travaillent la langue (koinonia en grec ancien = faire communauté).
Le processus de faire communauté est communauté.
Sophie Klimis invente le terme communer.

Quels types de communautés chez les Grecs anciens ? les banquets, sacrifices et chanter dans un chœur.
L’esprit commun est un accordage des différences. La cité exige des gens différents. La différence, l’altérité est essentielle en politique.

En suivant les mouvements sociaux d’aujourd’hui, poursuit Sophie Klimis, on constate un clivage entre la démocratie comme forme de vie et la démocratie comme politique, comme institution de politique « politicienne ».

Elle évoque Chantal Mouffe, une philosophe politique belge et la notion de démocratie radicale. Idem Cornelius Castoriadis : dès qu’il y a délégation du pouvoir, il n’y a plus de démocratie, plus de politique. Il faut une possibilité de remettre en question.
On revient à Aristote et les Grecs : la constitution des Athéniens prévoyaient une assemblée du peuple par semaine.
Comment penser aujourd’hui les articulations entre les différentes formes comme la famille, la cité, le village ?
Est-ce que la démocratie directe est possible ?
Est-ce qu’il faut inventer des institutions de démocratie directe ?

Mathieu Menghini intervient par une réflexion sur cette possibilité en invoquant la question de l’échelle, selon Aristote, l’autarcie est possible selon le nombre d’habitants et le cite de mémoire: embrasser la cité d’un seul coup d’œil.

Sophie Klimis rebondit sur l’enjeu de la taille : il faut connaître les gens de vue, la bonne réputation des gens (de ce point de vue Aristote voit la démocratie bourgeoise). Si tous les citoyens étaient amis, il n’y aurait pas de justice. Contrairement au tirage au sort. Aristote annonce la démocratie d’aujourd’hui.

Sophie Klimis parle de l’échelle du quartier, de la communauté et donne un exemple : la nouvelle constitution de l’Islande n’a pas été rédigée par des professionnels ; et cite De la démocratie en Amérique (Alexis de Tocqueville), base de la démocratie américaine, des citoyens impliqués.

L’ « harmonie discordante » vient d’Aristote. C’est une critique de la vision de Platon. La politique suppose que les gens pensent différemment. Le mythe de la pureté, ça n’existe pas. Sophie Klimis parle du livre Eloge de la créolité et d’Edouard Glissant et de Patrick Chamoiseau.

« Éloge de la créolité a été publié en 1989. Chamoiseau est un des signataires, avec Jean Barnabé et Raphaël Confiant. Ce livre est considéré comme étant le manifeste de la créolité et s’arrête particulièrement au concept de l’identité et de sa relation à l’esthétique » (site Internet de France Culture).

2-L’imprévisible création du mélange. Note ça me dit Laurence ! Je trouve qu’elle a raison. Revendiquer la singularité de nos racines nous ouvre au monde et ce n’est pas s’enfermer
dans une communauté.

Universalisme / Communautarisme.
La « créolité » à l’échelle de la mondialité plutôt que de la mondialisation.

Mathieu Menghini : entretenir et laisser vivre en soi la discordance est important.
Sophie Klimis nous parle de la tragédie athénienne. Les Chœurs ne sont pas constitués de professionnels. Ce sont des citoyens qui sont exempté de leur travail durant un an. Chanter, danser dans un Chœur, c’est de la praxis politique. Le chœur doit jouer des barbares, des esclaves, des femmes. Les hommes doivent jouer l’antithèse de ce qu’ils sont. Travail de la voix, ils crient, ils pleurent beaucoup. C’est une expérience d’altération, à jouer l’autre de vous-même. La mimesis.

Platon critique la pratique du chœur. Si on imite trop on devient ce qu’on imite. Cela veut dire qu’il y a transformation.
Le chœur : du cri à la raison. Deux positions : comment articuler des positions discordantes ? La prudence, (phronesis, du grec ancien, concept philosophique que l’on peut traduire par prudence) la sagesse pratique, la faculté de délibérer, trouver le bien commun. L’éducation qui passe par le corps, le chant, la délibération.
La tragédie est tout sauf de l’endoctrinement.

La parole est donnée à l’assemblée. Je note encore l’idée d’une personne : pourquoi pas des cours de doute ?
Avec Laurence, nous buvons un verre, profitons un moment de la bonne ambiance avant de rentrer à Genève. Nous sommes très contentes de la soirée.

Tout est facile me dit Laurence. Le trajet, le lieu est accessible. L’intervention de Sophie Klimis est claire, limpide même si elle fait référence à des notions complexes et des connaissances très spécialisées.
En allant rejoindre notre train, la conclusion de la soirée :

AVOIR LES PIEDS SUR TERRE // SE METTRE A NU

Ce n’est pas de nous, c’est de la SNCF ! dit Laurence. Des slogans officiels sont affichés dans le passage sous-voie.

Le trajet avec le Léman Express est agréable, très agréable, tellement agréable que nous sommes de très bonne humeur. On a l’impression d’être d’un seul coup dans une nouvelle et grande ville avec ces gares modernes de béton et de verre. Le trajet passe vite, on s’amuse de tout et on est déjà à Genève Cornavin. Notre récente sortie aventureuse à Annemasse le 5 novembre dernier avant la mise en service du CEVA est un souvenir d’un autre temps !