Le jeune Ahmed de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Lundi 11 novembre 2019 à 20h à Fonction : cinéma (Maison des arts du Grütli, rue du Général-Dufour 16, à Genève)

Deux fois « palmés » à Cannes avec Rosetta (1999) et L’Enfant (2005), les Belges Jean-Pierre et Luc Dardenne poursuivent une œuvre commune à nulle autre pareille, sans jamais déroger aux principes déontologiques qui les guident depuis plus de trente ans. Producteurs, scénaristes et réalisateurs de tous leurs films, ce duo animé par un souci du réel constant a plus que marqué l’histoire récente du cinéma. Leur onzième long-métrage ne fait pas exception. C’est en effet peu dire que les frères Dardenne persistent et signent avec Le jeune Ahmed, qui restitue avec la brièveté sèche et coupante qui les caractérise le processus de radicalisation d’un adolescent belge de treize ans.

Tombé sous la coupe d’un imam extrémiste, Ahmed (Idir Ben Adi) juge tout à l’aune de ses préceptes nauséeux, vitupérant sa mère qui ne porte pas le voile et son frère aîné nettement moins porté sur la religion. Il supporte encore moins l’enseignement de Madame Inès (Myriem Akheddiou) qui s’efforce de lui apprendre l’arabe courant par le biais de chansons très éloignées des soi-disant fondamentaux du Coran. Cachant un couteau dans sa chaussette, il projette de tuer sa professeure mécréante au nom d’Allah. Se crée alors un véritable suspense éthique qui constitue la marque quasi déposée des Dardenne.

Comme à leur habitude, les deux réalisateurs filment Ahmed au plus près par le biais de plans-séquences qui enferment littéralement le spectateur dans l’obstination butée de leur jeune protagoniste. Rarement personnage n’aura autant résisté à leur dispositif cinématographique où luit toujours une promesse de rédemption, cette résistance révélant de leur part un désarroi tangible, qui fait tout le prix de leur nouveau film. Dénués de tout angélisme, les Dardenne n’ont alors de cesse de se demander comment ouvrir à la vie cet être hermétique à toute bienveillance, fermé à l’amour, à l’amitié et au désir, avec quels moyens réussir à le convertir à l’impureté qu’il a en haine, mais sans en passer par un happy end simpliste et par conséquent indéfendable ? Film oblige, son sauvetage, s’il est encore envisageable, ne pourra être que cinématographique, au sens le plus élevé du terme, mais ce sera déjà ça de pris !

Vincent Adatte

« En terminant l’écriture de ce scénario nous nous sommes rendus compte que d’une certaine manière nous avions écrit l’histoire des tentatives infructueuses de divers personnages pour conduire le jeune fanatique Ahmed, notre personnage principal, à renoncer à son meurtre. Quels que soient ces personnages : Inès sa professeure, sa mère, son frère, sa soeur, son éducateur, le juge, la psychologue du Centre Fermé, son avocat, les propriétaires de la ferme où il est placé, leur fille Louise, aucun ne réussit à entrer en communication avec le noyau dur, mystérieux de ce garçon prêt à tuer sa professeure au nom de ses convictions religieuses. En commençant l’écriture, nous n’imaginions pas que nous étions en train de donner naissance à un personnage si fermé, capable de nous échapper à ce point, de nous laisser sans possibilité de construction dramatique pour le rattraper, le faire sortir de sa folie meurtrière. Même Youssouf, l’imam de la mosquée intégriste, le séducteur qui a capté l’énergie des idéaux de l’adolescent pour les mettre au service de la pureté et de la haine de l’impureté, même lui, le maître, est surpris par la détermination de son disciple. Et pourtant, pouvait-il en être autrement ? Pouvait-il en être autrement si le fanatisé est si jeune, presque un enfant, et si, de plus, son maître séducteur l’encourage à vénérer un cousin martyr, un mort ? Comment arrêter la course au meurtre de ce jeune garçon fanatique, hermétique à la bienveillance de ses éducateurs, à l’amour de sa mère, à l’amitié et aux jeux amoureux de la jeune Louise ? Comment l’immobiliser dans un moment où, sans l’angélisme et l’invraisemblance d’un happy end, il pourrait s’ouvrir à la vie, se convertir à l’impureté jusque-là abhorrée ? Quelle serait la scène, quels seraient les plans qui permettraient de filmer cette métamorphose et troubleraient le regard du spectateur entré dans la nuit d’Ahmed, au plus près de ce qui le possède, de ce dont il serait enfin délivré ? »

Jean-Pierre et Luc Dardenne

France-Belgique, 2019, couleur, 1h24 ; avec Idir Ben Adi, Myriem Akheddiou, Olivier Bonnaud, etc.

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En collaboration avec Fonction : cinéma