Bilan du Chœur Coriolan I
Emmanuelle Ohl et Emmanuel Bonjour, médiateurs du Chœur Coriolan
Le Chœur Coriolan a travaillé conjointement avec l’association Palabres (elle accueille un public de migrant.e.s), et il nous semble intéressant de faire le bilan suivant :
Nous nous sommes questionnés, tout au long du parcours, sur la pertinence des propositions de La Marmite, pour une population de migrants maitrisant peu voire pas du tout la langue française. Nous sommes allés voir :
• 2 pièces de théâtre : Mourir, dormir, rêver peut-être de Denis Maillefer au Théâtre Benno-Besson, et Retour à Reims de Thomas Ostermeier au Théâtre de Vidy.
• 1 film : Tel père, tel fils de Hirokazu Kore-Eda.
• 1 conférence de Hanane Karimi, sociologue, musulmane, féministe française d’origine marocaine.
• La visite du Musée de l’immigration à Lausanne commentée par son créateur Ernesto Ricou.
1er constat : Même si le nombre de participants n’a fait qu’augmenter tout au long de l’année, il semble que la non maîtrise de la langue demeure un obstacle à l’appropriation de certains spectacles.
2ème constat : Cependant, d’autres facteurs moins palpables entrent également en ligne de compte et peuvent contredire cette affirmation :
1) Toutes les personnes présentes au film de Kore-Eda et à la pièce de Maillefer maitrisaient bien le français et avaient participé au parcours du Groupe Spinoza l’année précédente ; elles étaient donc familiarisées au fonctionnement de La Marmite et ceci a permis, à l’issue du film, de rendre les échanges riches et intéressants. Pour cet exemple précis, il s’avère que la maîtrise de la langue était un atout.
2) La conférence a présenté clairement une difficulté pour les personnes non francophones. Il a été, d’une part, compliqué pour nous de présenter la conférencière et le sujet de la conférence. Plusieurs ont quitté la salle avant la fin de la conférence. Celle-ci nous a semblé trop éloignée des univers et préoccupations de la plupart des participants.
3) La visite du musée, par contre, s’est avérée un temps particulièrement fort du parcours. Paradoxalement, même si les participant.e.s (huit femmes et un homme) pour la plupart ne maitrisaient pas la langue, chacun.e s’est senti.e concerné.e par le sujet. Il faut dire que l’extrême chaleur et la très grande empathie d’Ernesto a contribué à créer un climat de confiance, et la séance s’est soldée par un échange de témoignages sur les différentes expériences des un.e.s et des autres, heureuses ou malheureuses (une personnes originaire de Syrie, nous a raconté les séances de torture qu’elle avait subies).
Dans ce cas précis, on peut dire que la confidentialité du lieu et la bienveillance créée par Ernesto mais aussi par les participants.e.s eux/elles-mêmes, ont fait fi des difficultés liées à la langue et chaque personne a réussi à se faire comprendre des autres.
4) Enfin la pièce Retour à Reims, difficile à comprendre pour quelqu’un qui n’est pas coutumier du théâtre contemporain, l’était d’autant plus pour de non-francophones en raison des différents niveaux de mise en scène, de discours. Le sujet et les thématiques ont cependant été compris car nous les avions expliqués lors de deux rencontres précédentes, et la participation des personnes au débat lors d’un debriefing quelques jours après le spectacle a permis de s’en rendre compte.
Il semble cependant que l’expérience ait été positive pour bon nombre de participant.e.s, pour d’autres raisons que la compréhension orale : moment de convivialité avant le spectacle au travers du partage d’une collation, magie de la salle de spectacle, lumières, etc.
En conclusion, il nous semble que, pour que les propositions faites par le Chœur Coriolan à un public non francophone et de cultures diverses aient véritablement un sens pour ces personnes, il est nécessaire qu’elles maitrisent assez bien la langue française et qu’elles aient déjà fait un parcours avec La Marmite.
D’autre part, une trop grande distance culturelle et symbolique semble un obstacle également même si des critères non objectivables permettent l’adhésion et le plaisir.
Notes de Mathieu Menghini, coordinateur général
J’aimerais ajouter quelques précisions à cet intéressant rapport :
• Pour revenir sur l’une des dernières remarques faites, seules les personnes ayant déjà connu un parcours avec La Marmite peuvent intégrer le Chœur. Cette année, il en fut autrement, car nous n’avons pas eu le cœur de refuser aux nouvelles usagères et nouveaux usagers de Palabres d’effectuer les sorties proposées. La question sera réglée dès la saison prochaine avec un Groupe spécifiquement à l’adresse des nouvelles personnes issues de cette association.
• Le choix des sorties et de leur caractère approprié ou non est – pour ce qui est des Chœurs de La Marmite – de la responsabilité des médiateurs sur la base du programme, de fait, de La Marmite dans le canton concerné.
• Une œuvre théâtrale ou filmique peut être abordée à bien des niveaux distincts : sens et signification, réflexion sur la forme, travail sur les codes mêmes de la sortie, observation de l’environnement, etc.
• S’agissant enfin de la réflexion relative à la rencontre avec Hanane Karimi (au sujet du féminisme musulman et décolonial) et de sa distance avec les préoccupations de certains participant.e.s du Chœur, il nous semble que c’est l’une des plus fortes missions de La Marmite et de la médiation que de parvenir à diffuser la conscience de ce que, comme dirait Térence, « Je suis un Homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Par bonheur, plusieurs membres du Chœur se sont révélés très participatifs au débat qui a suivi la causerie ; et ce, de manière particulièrement pertinente.
Il me semble ainsi que vos enthousiasmes comme les difficultés rencontrées à la suite d’une année peu conforme sont de nature à confirmer le concept de La Marmite.
Merci infiniment de votre engagement.