Mouvement culturel universaliste, La Marmite adresse néanmoins prioritairement ses parcours artistiques au « non-public » (Francis Jeanson), aux publics « spécifiques » ou « éloignés » de la culture – soit généralement des catégories socio-économiques précaires ou en quête de reconnaissance (chômeur.euses, migrant.es, adolescent.es, aîné.es, travailleur.euses pauvres, enfants provenant de milieux modestes, etc.). Elle vise aussi les personnes éloignées ou exclues des instances de la démocratie formelle.
Ont déjà participé aux parcours et créations de La Marmite les entités suivantes: ATD Quart Monde – Genève; Accroche – Scène active; AVVEC – Solidarité Femmes; Cité Seniors; Palabres; l’EPER (Entraide Protestante Suisse); l’UOG (Université Ouvrière de Genève); « La Roseraie » au sein du groupe Eldorado; Argos – Sortir de l’addiction; des étudiant.es de la HETS, de l’EESP et de la HEAD; des élèves de la classe de 11e langue et communication du Cycle d’orientation de Montbrillant; des élèves de la classe de 10e communication et technologie du Cycle d’orientation de Montbrillant; des exilé.es du camping de Bois de Bay; l’Association des familles du Quart Monde de l’ouest lausannois; l’Ecole de la Transition; des jeunes gens libérés de l’école obligatoire, inscrits au SEMO; des personnes en situation de handicap de l’association Cerebral Genève; des femmes migrantes de l’association camarada; des utilisatrices et utilisateurs de l’Université Ouvrière de Genève; des habitantes et habitants, des usagères et usagers du quartier populaire du Perrier à Annemasse; une classe de TE (terminale) du Centre scolaire du Mail en ville de Neuchâtel; des bénéficiaires et curateur.rices du Service Officiel de la Curatelle du Chablais valaisan; des personnes migrantes de l’association Palabres; des usagers de l’association Appartenances, exilés en difficulté.
Mouvement citoyen, elle entend donner de la visibilité, de l’audibilité aux « gens du commun » (Protagoras) – ceux que Pierre Bourdieu appelait les « dominés », Jacques Rancière les « sans-part », Erri De Luca les « sans écoute » (La parole contraire, 2015), Charles Juliet « ceux et celles qui n’ont jamais pu parler parce qu’ils n’ont jamais été écoutés » (Lambeaux, 1997). L’œuvre d’art qui ponctue chaque parcours investit l’espace public, contribuant ainsi à l’inscription sensible de ces groupes sociaux dans l’horizon démocratique.
Sens et valeur de l’art ne sont pas, pour nous, des émanations transcendantes ni le produit de codes celés dans les œuvres qu’il conviendrait simplement de déchiffrer. Ils sont matières à jeu des interprétations ; le sens, notamment, n’est jamais épuisé puisque « l’activité représentationnelle exercée sur l’objet » (pour reprendre l’expression de Jean-Marie Schaeffer) varie en fonction des conditions sociales, historiques, culturelles dans lesquelles se trouvent les réceptrices et les récepteurs, dans lesquelles se tient l’expérience esthétique. Une transaction collective du sens libère la réception, épanouit la polysémie des œuvres. D’où l’intérêt de socialiser la réception, de réunir des groupes autour de nos parcours et d’élargir sociologiquement, même modestement, le public en prenant en compte les obstacles symboliques et psychosociaux dans l’accès à l’art.
Conçue comme le miel d’authentiques rapports humains, semblable médiation charrie une dimension sociale : pour paraphraser Antoine Hennion, il n’y a rien à partager de plus important que le partage lui-même, que cette rencontre humaine, ce commun autour d’un objet.
Par la reconnaissance de l’égalité des participant.es, par l’affirmation de leurs points de vue, par la mise en débat de ceux-ci, notre médiation se veut non seulement l’occasion d’un approfondissement du rapport aux œuvres mais aussi un exercice de citoyenneté (d’empowerment, comme disent les anglophones).
Nous avons pensé la taille de nos groupes (en général, 7 à 15 personnes) de manière à favoriser la meilleure participation de chacun.e (selon les enseignements de Didier Anzieu, Jacques-Yves Martin et Serge Moscovici) : en effet, suivant les acquis des théories de la dynamique des « groupes restreints », en deçà de ce nombre, la stimulation est moindre ; au-delà, des phénomènes de leadership réduisent le partage de l’interlocution.
Nous privilégions donc les groupes restreints et des cercles déjà constitués (selon les considérations de Gérard Mendel), des associations afin de favoriser chez chaque participant.e l’audace d’être soi. Mais que l’on ne se méprenne pas, la culture des groupes n’est pas close sur elle-même et, par delà tout schématisme, l’homme est « pluriel » (Bernard Lahire).
Relevons enfin que ces groupes sont « baptisés » (Groupe Tala Madani, par exemple) offrant une référence indirecte à l’un ou l’autre moment du parcours proposé ou à sa thématique propre. L’explicitation de ces désignations est l’occasion d’une stimulation supplémentaire. Par ailleurs, nous croyons au pouvoir de la nomination pour encourager la « mobilisation » (Célestin Freinet) de tou.tes et l’estime de soi.